La Marine
Au crépuscule du XVIIIe siècle, alors que l'Europe était en proie aux tumultes des guerres napoléoniennes, un drame se jouait dans les eaux turquoise de l'océan Indien. L'île Bonaparte, aujourd'hui connue sous le nom de La Réunion, était une gemme française isolée, encerclée par la puissance navale britannique. En 1806, les Anglais, déterminés à s'emparer des Mascareignes, naviguaient avec audace près des côtes, scrutant les défenses de l'île. Leur cible était Sainte-Rose, un point stratégique dont la prise pourrait signifier un coup décisif contre les Français dans la région.
En 1808, lors d'une escale commerciale, un navire arabe est pris pour cible par les Anglais. Cherchant refuge, le capitaine arabe se retrouve coincé entre les batteries de Sainte-Rose et les navires ennemis, empêchant les militaires de riposter sans risque. Les Anglais, protégés des canons, attaquent et exterminent l'équipage arabe, à l'exception d'une vingtaine de survivants. Après avoir bombardé les défenses de Sainte-Rose, ils s'éloignent, laissant derrière eux destruction et désolation.
Le 4 août 1809 marque une étape cruciale dans le contrôle des Mascareignes, avec l'occupation de Rodrigue par les Anglais, utilisant l'île comme base stratégique. Le gouverneur général Decaen, conscient de l'insuffisance de ses forces face à l'escadre Rowley, doit faire face à l'isolement croissant de l'île Bonaparte et à la pénurie de provisions. L'activité maritime anglaise s'intensifie autour de l'île, signalant l'imminence d'un nouveau conflit à Sainte-Rose.
Au crépuscule du 8 août, sous un ciel d'encre, la frégate "La Néréide" et la corvette "Le Saphir", guidées par l'audacieux commandant Corbett, glissent telles des spectres vers Sainte-Rose. Les premiers éclats de canons déchirent le silence, annonçant le prélude d'un affrontement inévitable. Les jours s'écoulent, et les deux navires, après une manœuvre évasive au nord de l'île, reviennent hanter les eaux de Sainte-Rose avant de se fondre à nouveau dans l'horizon.
Le 16 août, ils surgissent des brumes matinales, s'avançant hardiment vers la côte pour ancrer leur présence dans la baie, défiant les sommations de la batterie côtière. Les chaloupes, lancées avec ferveur, portent en elles une poignée de défenseurs résolus à riposter face à l'envahisseur, avant de céder, submergés par l'adversité. Le village tombe, la batterie est réduite en cendres, et le maire capturé. La résistance s'effrite sous le poids d'une lutte déséquilibrée; les forces françaises, bien que munies de mitrailleuses, ne peuvent égaler le nombre et la détermination de l'ennemi. La population, paralysée par la peur et l'insuffisance de ses moyens, reste spectatrice de sa propre déroute. Les combattants, isolés et dépassés, abandonnent le combat face à une marée d'assaillants. Sans soutien de la Garde-Nationale, l'issue est scellée. Les Anglais, affaiblis par le scorbut mais victorieux, exigent des vivres en échange de la clémence. Dominant la situation, ils restent ancrés face à la Marine, inébranlables. Le 17 août, alors que des renforts de Saint-Benoît arrivent enfin à Sainte-Rose, le destin a déjà choisi son camp, et ils repartent, laissant derrière eux l'écho d'une bataille perdue.
Le 18 août, les vaillants soldats de la garde de Saint-Benoît, menés par l'intrépide Hubert-Delisle, firent leur retour triomphal. Tandis que les canons anglais tonnaient depuis la rade, nos braves s'établirent avec audace le long des falaises majestueuses, dominant la baie et déjouant les plans des assaillants. L'équipage anglais, affaibli par la maladie, implora l'achat de provisions, mais Hubert-Delisle, inflexible, refusa toute transaction. L'ennemi, battu en retraite vers Saint-Benoît, piqua la vigie de Petit Saint Pierre de ses balles, sans jamais l'ébranler. Par l'envoi d'un messager, il brandit la menace d'un bombardement dévastateur sur nos côtes si nos forces persistaient. Mais la raison prévalut, et un pacte fut scellé. En échange d'une abondance de citrons, la paix fut achetée, et sur terre comme en mer, les hommes armés se dispersèrent.
L'arrivée des renforts de Saint-Jean et de Saint-Denis galvanisa la Garde nationale de Saint-Benoît. Depuis ses navires, "La Néréide" et le "Saphir", le Capitaine Corbett ordonna une salve désespérée sur nos troupes toujours en marche. Mais les Français, avec une riposte féroce, infligèrent de lourds dommages aux vaisseaux anglais, qui, vaincus, levèrent l'ancre et abandonnèrent la baie à son destin.
Dans l'embrasement de l'aube, la silhouette des navires anglais se dessinait, toujours plus nombreuse, à l'horizon de la zone Est. Le 22 août, tels des spectres, ils hantaient encore les eaux de Sainte-Rose. Sur terre, l'ardeur des forces françaises ne faiblissait point, repoussant avec une ferveur indomptable l'adversaire qui ne foulait pas le sol sacré. Du 23 août au 12 septembre, un siège impitoyable enserrait Sainte-Rose, mais sous la houlette de Bouvet, les troupes s'unissaient pour une résistance farouche, forçant l'ennemi à battre en retraite. Le capitaine anglais Corbett, frappé par le destin sous la forme d'un boulet de canon, offrit ses derniers instants à la terre de Sainte-Rose, où s'érige aujourd'hui le monument Corbett, gardien éternel au-dessus du débarcadère. Et lorsque les flots reprirent leurs droits, emportant les navires anglais, ils laissèrent derrière eux la Tour de Corbett, un mausolée intact, symbole de la bravoure et du sacrifice.